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Voici déjà 10 ans que le cardinal Lustiger a été rappelé à Dieu.

Je ne pouvais laisser passer cette date sans rendre hommage à une personnalité exceptionnelle qui m’a profondément marqué, tout comme un nombre incalculable de personnes en France et à travers le monde.

Le cardinal lors du traditionnel chemin de croix du Vendredi saint à Montmartre

Un petit rappel de son rapide parcours vers la direction du diocèse de Paris

Fils de juifs immigrés de Pologne, il se convertit à la foi catholique à Orléans à 14 ans en 1940.
Il est ordonné prêtre à 27 ans et est nommé aumônier de la Sorbonne en 1954.
15 ans plus tard, en 1969, il est nommé curé de la paroisse Ste Jeanne de Chantal, dans l’Ouest parisien.
10 ans plus tard, en 1979 le nouveau pape Jean‑Paul II le nomme évêque d’Orléans.
Un peu plus d’un an plus tard, en 1981, à l’âge de 55 ans, il est nommé archevêque de Paris.
En 2005, près d’un quart de siècle après sa nomination, le pape accepte sa démission.
Il fait son grand passage le 5 août 2007.

Le cardinal Lustiger a fut la personnalité la plus en vue de l’histoire de l’Église de France pendant 25 ans, l’accompagnant de manière décisive dans son passage vers le IIIe millénaire.

Le bâtisseur et le visionnaire

Conscient du manque de visibilité de la foi catholique dans les médias, dès l’année de sa prise de fonction, il crée Radio Notre-Dame. La chaîne de télévision KTO fut, elle, créée en 1999.

Soucieux de la formation des laïcs ainsi que des prêtres, il crée d’abord l’École cathédrale, puis le Séminaire de Paris en 1984. Ce séminaire comptait 80 séminaristes à sa mort.

En 1990, préoccupé du manque de prêtres dans les autres diocèses d’Île de France, il propose que des prêtres de Paris servent dans des paroisses de ces diocèses. C’est la fondation de la Fraternité Missionnaire des Prêtres pour la Ville, toujours active aujourd’hui.

En 1997, il convainc Jean-Paul II d’accueillir les JMJ en France, avec comme point d’orgue une veillée et une messe sur l’hippodrome de Longchamp. C’est lui qui propose de remplacer la traditionnelle veillée festive par une veillée baptismale. Alors que beaucoup déconseillent ce choix, la veillée baptismale fut au contraire un événement unique, un très beau témoignage de la puissance du sacrement, attesté par plusieurs témoignages de conversion et de demandes de baptême.

En 2001, le cardinal réussit à acheter à la ville de Paris le collège des Bernardins. C’était à l’époque une caserne abandonnée.
Le cardinal ne put voir le plus grand édifice gothique de France (hors églises) entièrement restauré et magnifiquement mis en valeur lors de son inauguration en 2008.
On aurait du mal à mentionner toutes les impulsions et réalisations dues au courage et à la force d’âme du cardinal Lustiger.

Son envergure intellectuelle en faisait l’une des figures majeures du paysage médiatique et culturel français de son temps. À chaque émission de télévision où il était invité, ses interlocuteurs l’écoutaient avec la plus grande attention et le plus grand respect, tant sa parole était tout à la fois compréhensible par tous, portée par une foi d’une profondeur rare et le témoignage d’une intelligence hors du commun.

Le rayonnement

Le cardinal Lustiger était connu bien au-delà des frontières françaises, aux États-Unis en particulier.

Son style n’était pas ecclésiastique. Beaucoup de non-catholiques qu’il connaissait disaient de lui qu’il était « laïc », étrange compliment à propos d’un cardinal de l’Église catholique, mais révélant son étonnante capacité à dialoguer avec le monde contemporain.

Il faut dire que ses origines juives et sa conversion ont été des facteurs déterminants dans cette facilité qu’il avait de fasciner ses interlocuteurs, spécialement les non chrétiens.
Il ne faudrait pas croire cependant que les chrétiens étaient mis de côté dans son ministère de parole. Chaque dimanche soir, il célébrait la messe à Notre-Dame de Paris, et une assistance nombreuse venait spécialement à la « messe du cardinal » pour écouter une prédication souvent très originale.

Témoignage personnel

Durant mes années au séminaire de Paris, j’ai eu la chance de pouvoir partager, avec une vingtaine d’autres séminaristes, une messe et un dîner annuels avec le cardinal. Sa manière de célébrer était la même que devant les foules de Notre-Dame. Il était complètement habité par ce qu’il célébrait. On avait vraiment l’impression que plus rien n’existait pour lui dès que la célébration commençait.

Lui-même disait qu’il avait mis environ sept ans avant de commencer à trouver un style de célébration de la messe qui lui donnait une certaine satisfaction. Son attachement extrême à la liturgie était d’ailleurs connu de tous.

Quand il vint regarder notre nouvelle chapelle, à la fin des années 90, dans une des maisons du séminaire de Paris, il fit des remarques vraiment pertinentes sur la disposition du siège du prêtre, de l’ambon et de l’autel. C’était fascinant de le voir ainsi exercer son ministère d’évangélisateur par la liturgie. Lui-même a d’ailleurs refondu le chœur de Notre-Dame pour le faire mieux correspondre à sa propre vision.1

Une autre fois, à Paray-le-Monial, il célébrait également des confirmations devant 5000 personnes. Une fois de plus, sa manière si profonde de célébrer la liturgie fit merveille. Je n’oublierais jamais le visage radieux d’une des confirmantes quand le cardinal lui serra les mains. Elle pleurait presque.

En 2001, avec le cardinal, nous, les séminaristes de Paris, avons visité le collège des Bernardins qui venait d’être acheté à la ville de Paris. Les pompiers l’avaient déserté peu de temps auparavant, il était en piètre état. Le cardinal nous décrivait avec passion l’utilisation futur des magnifiques espaces qui seraient aménagés. Nous avons mesuré l’énormité des travaux à prévoir, et j’ai eu la joie de voir le collège inauguré en 2008 par le pape Benoît XVI lui-même, avec son fameux discours prononcé devant le maire de Paris, le ministre de la culture et deux anciens présidents de la République.

La phrase d’ouverture de ce discours fut : « Nous nous trouvons dans un lieu historique, […] que […] le regretté Cardinal Jean-Marie Lustiger, a voulu comme un centre de dialogue de la Sagesse chrétienne avec les courants culturels, intellectuels et artistiques de votre société. » Le pape a reconnu là une des préoccupations constantes du cardinal, comme nous l’avons vu avec Radio Notre-Dame et KTO, et tant d’autres actions dans le sens de cette rencontre avec la culture contemporaine.

Le cardinal est décédé le dimanche 5 août 2007. Les funérailles furent fixées au vendredi 10 août, mais Mgr Vingt-Trois, archevêque de Paris depuis la démission du cardinal en 2005, décida de célébrer une messe « informelle » pour les jeunes le lundi 6 au soir à Notre-Dame. Il faut préciser que Mgr Vingt-Trois était resté aux côtés du cardinal Lustiger depuis les années 70, soit 35 ans de compagnonnage et de travail commun.

J’ai eu le privilège d’assister à cette messe. L’émotion était palpable. Mgr Vingt-Trois était ébranlé au plus profond de lui-même. Il dit qu’il avait perdu un frère et surtout un père. Il parlait d’une voix blanche, c’était à se demander s’il n’allait pas se mettre à pleurer ou à s’évanouir.

Moi-même, je fut submergé par l’émotion. J’avais déjà éprouvé quelque chose de proche deux ans plus tôt lors de la mort de Jean-Paul II. J’étais bouleversé à l’idée que je n’entendrais plus la voix des deux figures sacerdotales majeures qui avaient accompagné mon cheminement.

C’est avec une immense gratitude que j’écris cet article. Je considère que je suis toujours en deuil et en dette d’une figure irremplaçable de chrétien et d’évêque.
Il s’inscrit dans toute une lignée d’évêques réformateurs tels qu’on en a vu tout au long de l’histoire de l’Église. On peut penser saint Charles Borromée, à saint François de Sales, à Alain de Solminihac ou à saint Eugène de Mazenod.
Je m’étonne d’ailleurs qu’aucune demande de béatification n’ait été encore déposée officiellement.
Rien n’empêche heureusement de lui demander de prier pour nous. On n’imagine guère qu’une telle figure ne soit pas devant la face de Dieu, malgré son légendaire sale caractère…

1. Il ne faudrait pas croire que le souci du cardinal pour les éléments liturgiques les plus matériels soit le fait d’un maniaque. La liturgie, chez les catholiques comme chez les orthodoxes, est la principale manière par laquelle Dieu nous parle et par laquelle nous le célébrons. L’ensemble des composants d’une église tout comme ceux d’une célébration relève du mystère de Dieu. Les orientaux y sont particulièrement attentifs, eux qui organisent les icônes de manière très précises dans leurs églises, et qui organisent des célébrations très riches de symboles. Le cardinal ne faisait donc qu’obéir à une des missions reçues par tout évêque et tout prêtre : rendre gloire à Dieu, avec le peuple confié à ses soins, par la liturgie dans toutes ses dimensions.

Voir aussi : Un évêque ça sert à quoi ?

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